L'impact des spécificités d'un terrain sur les strates

Bonjour à tous,

Comment adaptez-vous la théorie sur les strates des espèces en syntropie aux réalités de votre terrain ? Un pommier qui pousse en Sicile n’aura pas, j’imagine, la même strate qu’un pommier qui pousse à Calais…La syntropie a cette particularité, que tout reste encore à découvrir, tester, ce qui parfois peut procurer le sentiment d’être un peu dépassé (pour ma part), surtout quand les pas de temps de ce qui est testé sont longs (exemple un arbre qui va mettre des années à fructifier).

Je vous donne l’exemple de ma ferme où j’ai encore du mal à y voir clair. C’est une ferme dans le Nord Toscane en Italie, à 700 m d’altitude et 2100 mm de pluie par an. Exposition plein est, sur une colline assez abrupte donc des ombres portées importantes. Mon ressenti est qu’on a deux extrêmes : une saison fraîche à froide (en hiver), très pluvieuse, forte couverture nuageuse, peu de soleil direct, d’octobre à juin. Et une saison très chaude (33-34°C sont la norme en journée), très ensoleillée, peu de pluies de juin à septembre.

Comment penser les strates dans un contexte où on cherche à favoriser la pénétration de la lumière (insuffisante) et où on est confrontés à beaucoup de pluies pendant 8 mois de l’année, et un basculement brutal sur du plein soleil et de la chaleur torride où l’ombre serait la bienvenue pendant 4 mois de l’année ?

J’ai aussi la sensation qu’avec l’ombre portée de la colline qui surplombe la ferme, trop densifier les strates pourrait causer un manque de lumière durant ces fameux 8 mois.

Comme vous voyez c’est encore confus, et pourtant, des décisions vont devoir être prises au moment d’implanter le système syntropique et notamment les arbres, le pas de temps de chaque itération sur ceux-ci étant de minimum 7-8 ans…C’est d’autant plus complexe que je vais devoir orienter le verger en suivant les courbes de niveau car pente, pour des questions d’hydrologie. Je ne pourrai donc pas favoriser l’ensoleillement avec une orientation nord-sud.

Qu’en pensez-vous ?
Merci !

A plus, remol

Regarde, fils…un flop ! :winking_face_with_tongue:

Alors je ne sais pas, apparemment je ne suis pas seul, les réponses ne se bousculent pas au portillon! Mais tout de même comme souvent je vais répondre sans savoir, sache-le! :grin:

Ce que je ferais dans ce cas, c’est concevoir mes plantations surtout en fonction de la période de chaleur sur 4 mois. Pour que les arbres fruitiers aient assez de lumière pendant les 8 autres mois, je les espacerais en fonction de ces 8 mois là, en intercalant des arbres supports de perturbation émergents pour qu’ils fassent de l’ombre pendant la saison chaude. Supports de perturbation que je taillerais conséquemment pendant la saison sombre pour qu’ils ne fassent pas d’ombre aux fruitiers.
Tu parles de ne peut-être pas « trop densifier les strates ». Je ne sais pas ce que tu entends exactement par là, mais si une chose est sûre c’est qu’il faut densifier les plantes (hmm et donc les strates?) au maximum possible. A ce que je pense, à sacrifier presque tout en syntropie, il ne faudrait garder qu’une chose : densité et perturbation. Bon ça fait deux choses mais on se comprends haha. Ah oui et diversité aussi, ça fait trois. Autrement dit il vaut mieux je crois une absence complète de planification, avec juste des semis en place d’un peu de tout dans le chaos le plus total mais dense et en venant perturber et « piloter » voire éventuellement sélectionner ensuite qu’autre chose au détriment de la densité ou de la perturbation.

Pour en revenir à tes scénarios, l’idée générale que je propose est de parer au pire (tout crève pendant les 4 mois) dans la conception, et de faire les ajustements par tes interventions durant les 8 mois. La carapace peut bien aider pour cela aussi.

Le fait de devoir planter sur les courbes de niveau ne simplifie pas l’équation, il faut du coup penser beaucoup plus à plusieurs planches ensemble. Pour faciliter la conception, voire éviter la syncope, je ferai plusieurs orientations en même temps!

C’est à dire tu pourrais concevoir tes lignes dans le sens de tes planches (orientées perpendiculairement à la pente) mais aussi et surtout en créant du même coup des lignes en diagonale dans le sens nord-sud avec tes plantes de production et de perturbation de strates hautes et émergentes. Dont les plantes émergentes support de perturbation que j’évoquais plus haut pour pouvoir faire de l’ombre pendant la période chaude.

Pour être sûr d’être clair, au final sur ton plan avec tes planches orientées en fonction de la pente, si tu indiques en orange les plantes de strate haute et émergente assez hautes pour faire de l’ombre aux autres, ça te fait des lignes de points oranges orientées nord-sud. Je commencerai par ces lignes là pour en faire découler le reste. Peut-être le fais-tu déjà, au cas où le truc le plus aidant qui soit à mon goût pour la conception de scénarios est de remonter le temps plutôt que d’avancer du début vers la fin. Tu pars de l’état à Plantation + 100 ou 200 ans, et tu remonte vers le présent. C’est tellement plus simple c’est une dinguerie.

Aussi, et c’est logiquement le cas le plus souvent vu les critères qui font une bonne plante support de perturbation, que toutes tes plantes de perturbation ligneuses puissent supporter le recépage ou la conduite en trogne.
Aucun scénario ne peut-être parfait, mais alors c’est pas un souci, par l’observation de la lumière à chaque saison tu vas pouvoir ajuster ensuite. Trop de lumière à un endroit? une trogne haute, pas assez? recepage ou trogne plus basse. La « quantité d’ajustement » possible est énorme. Ça permet vraiment de gagner en flexibilité et donc peut-être en détente du scénariste :wink:

Dans la même veine ça peut être bien dans ton cas d’avoir pas mal de plantes qui sont flexibles quand à la strate, comme le sureau noir (‹ haschberg › est très vigoureux et très bon fruitier aussi) ou l’elaeagnus ebbingei, qui conviennent sans problème de strate moyenne à émergente. La livèche et la guimauve sont aussi assez adaptables (moyenne, Haute, voire un peu plus, dépendant aussi de l’eau).

D’autant plus dans une situation assez complexe comme la tienne, j’opterai pour le plus de flexibilité possible dans autant d’aspects que possible.

Enfin bien que tu l’aies déjà à l’esprit comme tu parles d’hydrologie, mais puisqu’il faut bien une fin à ce roman et qu’il ne m’en faut pas plus pour dériver allègrement je me permet un post-scriptum : l’eau!

J’ai réalisé l’année passée à quel point l’eau était vraiment la clef de tout. Non pas que je ne m’y soit pas intéressé avant, c’est que ça dépasse ce que je pensais jusqu’alors. Déjà bien sûr sans eau rien ne pousse, et dans une très large mesure la réciproque est vraie. On a à peu près partout minéraux, air et lumière à profusion, mais pas toujours d’eau douce. Il y a beaucoup d’infos mises bout à bout qui montrent à quel point l’eau est essentielle, je vais me limiter au trois qui m’ont le plus fait gamberger, sinon on est pas sortis de l’auberge!

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L’eau quand elle manque est le facteur limitant de l’agradation du sol. L’agradation du sol c’est vraiment ce qu’on veut. Même si c’est simplificateur (mais pas tant) on prend ici l’augmentation du taux de matière organique (cette morve/mucus/lymphe du sol) comme indicateur de l’agradation du sol. La MO du sol découle de l’activité biologique du sol. Dans notre climat avec saison froide et saison chaude (et plus ou moins d’intersaisons) il y a une certaine activité biologique dans le sol pendant la saison froide qui a son importance, mais c’est ensuite avec la remontée des températures que le taux de matière organique dans le sol commence à augmenter significativement.

Le taux de MO fait une forme de courbe en cloche, le bout de la cloche c’est le début de l’hiver d’après. En fait grosso modo tant que les températures le permettent et qu’on ne fait rien pour l’en empêcher, le sol s’améliore. Seulement on observe (ma source ici c’est des gens de l’association MSV) qu’au milieu de cette courbe en cloche, au moment où les températures sont les plus chaudes, il y a toute une période ou il y a un trou dans la cloche qui a la forme d’une cloche dans l’autre sens.

Ce ralentissement de l’augmentation du taux de matière organique dans le sol, en fait une diminution, est dû à l’asséchement du sol. C’est pas la température elle-même qui est en cause, puisque dans les conditions d’une forêt tropicale quand l’eau abonde même aux périodes les plus chaudes de l’année on n’observe pas de ralentissement de l’activité biologique du sol. Donc dans l’autre sens si on s’assure que l’eau soit au moins en quantité suffisante tout au long de la saison de croissance, la MO va avoir une belle courbe en cloche sans trou dedans, le sol va s’améliorer en continu au lieu d’être coupé dans son élan. Et bien sûr les plantes vont pas mourir de soif, elles vont croitre plus, produire plus, être en meilleure santé (il faut assez d’eau à une plante pour assurer son immunité), etc.
NB: la matière organique du sol retient elle-même plus d’eau utilisable par les plantes que tout autre composant du sol, c’est à dire 10 fois plus que l’argile. On voit le cercle vertueux poindre à l’horizon.

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70% de l’eau est « produite » par l’évapotranspiration de la végétation, l’eau verte. Conséquence logique de cela quand 100 litres d’eau tombent en précipitations, il faudrait en conserver sur place - essentiellement dans le sol, 70 litres pour que le cycle soit conservé, que cette eau puisse être évapotranspirée à nouveau! Tout ce qu’on ne garde pas c’est globalement autant qu’il va manquer à terme!!!

En certains endroits en France (malheureusement je n’arrive pas à retrouver la source, c’est le comble vu le sujet) c’est 75% de l’eau qui est quasi immédiatement évacuée du paysage, et c’est souvent plus de 50%. À évacuer autant que possible l’eau des paysages on crée la sécheresse.

Le même conférencier (je ne retrouve plus la vidéo youtube, il était sur une grande scène avec écran taille cinéma derrière, un ex-militaire je crois, au parler un peu sec, si quelqu’un voit je suis preneur) évoquait les plantations et le changement climatique. En gros si c’est l’évapotranspiration des plantes qui est la source principale des précipitations, il y a un rapport entre la végétation et les précipitations. Donc si on plante QUE des arbres et plantes très résistantes à la sécheresse, dont celles dites « en C4 », à une certaine échelle on va avoir moins d’évapotranspiration (puisque c’est justement un des atouts qui leur permet de résister aux conditions sèches) et donc moins de précipitations! Le climat et les plantes sont interdépendantes. Évidement sur un jardin de 100 m2 l’effet est négligeable, mais les continents entiers ne sont que 100m2 + 100m2 + 100m2, etc. Autant peser du bon côté de la balance.

Ce monsieur préconisait de planter autant que possible des plantes qui à la fois évapotranspirent beaucoup et font des racines très profondes qui peuvent aller chercher l’eau loin dans le sol et la remonter en faire profiter les autres plantes et l’atmosphère, comme les saules ou les peupliers.
Moi qui croyait que pour bien faire vis à vis du changement climatique il suffisait de planter des plantes bien adaptées au chaud et au sec, en fait c’est pas si simple, car à aller plus vite que la musique on risque en fait d’aggraver le problème, d’obtenir plus vite le climat correspondant aux plantes qu’on a plantées! :exploding_head:

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Les résultats hyper encourageants de l’hydrologie régénérative couplée à l’agroforesterie (même pas syntropique! WTF! hahaha) par exemple de la fondation Paani en inde (voir les sept vidéos India’s water revolution) aux demi-lunes de la grande muraille verte, et autres key-line etc. On voit que sur des terres hyper dégradées, sèches, qui n’absorbent quasi plus d’eau et où ne pousse à peu de chose près qu’une végétation de désert, des infrastructures simples pour retenir, ralentir et stocker l’eau font une différence incroyable. Avec quelques coups de pelle et en semant et plantant en fonction de la succession écologique, le désert reverdit en quelques années!

Voilà je suis devenu un fanboy de l’eau :joy: Vraiment à mon avis l’élément à mettre au cœur de toute conception de plantations. Après ça tombe bien en général la syntropie c’est le nec plus ultra question eau!

Il y a plein de conséquences pratiques, l’une d’entre elle c’est - quand c’est possible bien sûr (le top : s’arranger pour que ça le soit, par chance là où tu es apparemment tu as plein d’eau) ne pas hésiter à bien arroser suffisamment les premières années (mais ni trop ni trop souvent) pour que les plantes en profitent : plus de biomasse, plus de perturbations, donc une meilleure couverture du sol, sol qui s’améliore ainsi plus vite, qui va être plus vite plus vivant (dont plus de champignons mycorhiziens, quitte à inoculer au départ) et stocker plus d’eau. C’est une sorte « d’investissement » en eau au départ pour obtenir après un sol qui stocke mieux l’eau (MO, vie…), une meilleure couverture végétale pour la capter et la retenir, un bon réseau mycorhizien qui soutient les plantes en cas de sécheresse et par les nutriments, etc.

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